TPA – Planarité, mineurs et donuts

Pour le premier Théorème à Périodicité Aléatoire, on va parler de graphes, et on va faire des petits dessins. Un graphe est un ensemble de sommets reliés entre eux par des arcs. Pour décrire un graphe, je peux par exemple dire « il a les sommets 1, 2, 3, 4 et 5, et des arcs entre les sommets 1 et 2, 2 et 3, 3 et 4, 4 et 1, 1 et 3, 2 et 4, 1 et 5, et 4 et 5 ». Je peux aussi décider de le dessiner sur une feuille de papier, et je peux dessiner ça de plusieurs manières : tous les dessins, là, sont une représentation de ce graphe.

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Dans ces trois représentations, deux sont dites planes : le graphe est dessiné de façon à ce que les arcs du graphe ne se croisent pas. La première représentation n’est pas plane : les arcs 1-3 et 2-4 se croisent. Un graphe qui peut être dessiné dans le plan (c’est-à-dire sur une feuille de papier plate) sans que deux arcs se croisent est un graphe planaire. Le fait qu’on ait un adjectif pour ça devrait vous faire dire qu’il existe des graphes non planaires, c’est-à-dire qu’on ne peut pas dessiner dans le plan sans croiser deux arcs. Deux exemples classiques (et utiles pour la suite) de ce type de graphes sont le graphe complet sur 5 sommets (je prends 5 sommets et j’ajoute tous les arcs possibles), qu’on appelle en abrégé K_5, et le graphe bipartite complet sur 3×2 sommets (je prends deux groupes A et B de trois sommets et j’ajoute tous les arcs possibles entre les sommets du groupe A et les sommets du groupe B), qu’on appelle en abrégé K_{3,3}. En voici des représentations dans le plan ; comme on l’a vu, ces représentations ne sont pas uniques, mais vous pouvez chercher longtemps avant de trouver une représentation où deux arcs ne se croisent pas.

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Et le théorème suivant, dû à Wagner en 1937, dit que si un graphe n’est pas planaire, c’est parce que, quelque part dans sa structure, on trouve un truc qui ressemble à K_5 ou à K_{3,3}. Plus précisément :

Un graphe est planaire si et seulement s’il ne contient le mineur K_5 ni le mineur K_{3,3}.

Je triche un peu, parce que je n’ai pas encore défini la notion de mineur. Donc, définissons :

Un mineur d’un graphe G est un graphe obtenu à partir de G en effectuant zéro ou plusieurs suppression d’arc, suppression de sommet ou contraction d’arc.

Supprimer un arc, c’est facile : si deux points sont reliés par un arc, on peut décider qu’en fait non, et supprimer l’arc. Supprimer un sommet, c’est facile aussi : on choisit un sommet, on le supprime, et on supprime aussi tous les arcs qui y sont reliés, parce que sinon on sait pas où ils vont de toute façon. La notion de contraction est un tout petit peu plus sioux. L’idée, c’est qu’on prend deux sommets reliés par un arc, et qu’on les transforme en un seul sommet. Le sommet résultant est attaché à tous les arcs qui étaient dans le graphe précédent. On peut imaginer qu’on « pince » deux sommets qui se rapprochent, qui se rapprochent, qui se rapprochent et POUF qui n’en font plus qu’un. Un petit exemple, dans lequel je contracte l’arc rouge et dans lequel j’obtiens le sommet rouge :

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Donc, en gros, ce que Wagner dit, c’est que « si je bricole mon graphe un peu et que j’arrive à faire apparaître K_5 ou K_{3,3}, alors je ne peux pas dessiner le graphe sans croisement. Par contre, si je ne peux pas faire apparaître K_5 ou K_{3,3}, alors je peux dessiner le graphe sans croisement. »

Il se trouve qu’il existe un théorème qui généralise cette idée de « mineurs exclus » – c’est un théorème de Robertson et Seymour dont la preuve prend… 20 articles, publiés de 1983 à 2004. Le théorème s’énonce comme suit :

Toute famille de graphe fermée pour les mineurs peut être décrite par un ensemble fini de mineurs exclus.

Explications : une famille de graphes fermée pour les mineurs, c’est un ensemble de graphes tels que, si je prends un graphe quelconque de cet ensemble, que j’en prends un mineur (avec la définition précédemment donnée), alors le mineur est aussi dans la famille en question. Ce que Robertson et Seymour disent, c’est que dans une famille comme ça, il existe un ensemble fini de mineurs exclus, c’est-à-dire que si on trouve ce mineur dans un graphe, alors le graphe ne fait pas partie de la famille.

Appliquons ça à l’exemple des graphes planaires. Les graphes planaires sont une famille de graphes fermée pour les mineurs : si je prends un mineur d’un graphe planaire, je peux toujours dessiner le mineur en question dans le plan sans avoir de croisement d’arc. Et les mineurs exclus sont K_5 et K_{3,3} : si je trouve ces mineurs dans le graphe, le graphe n’est pas planaire. Wagner est plus « puissant » que Robertson & Seymour pour les graphes planaires, parce qu’il donne les mineurs exclus explicitement.

Là où ça devient drôle, c’est qu’en général, on ne connaît pas les mineurs exclus en question. On sait qu’ils existe, on sait qu’il y en a un nombre fini, mais on ne sait pas quelle tête ils ont. Un petit exemple pour terminer : supposons que je veuille dessiner mon graphe non pas sur une feuille de papier, mais sur un tore – un donut, si ça vous parle plus.

donutL’idée, ça serait que je dessine des points sur mon donut, et que je les relie avec des arcs, exactement comme je le fais dans le plan. Si je fais ça, et que j’arrive à dessiner mon graphe sans croiser d’arcs, j’ai un graphe non pas planaire, mais toroïdal (ou donutidal, si vous voulez). La famille des graphes toroïdaux est fermée pour les mineurs, donc il existe une famille de mineurs exclus pour cette famille. Jusqu’à présent, on en a trouvé plus de 16 000. Et on ne sait pas combien il y en a au total. Amusant, non ?

(Et si vous voulez essayer de tous les trouver, je crois qu’il faut commencer par faire des donuts 😉 )

Introduction : Théorème à périodicité aléatoire – TPA

Hoplà,

J’ai toujours dans l’idée de faire un billet ou deux ou 12 sur les algos aléatoires, mais comme c’est long et que j’ai pas encore décidé par où attaquer, je vais faire d’autres trucs en attendant, parce que bon, ya pas de raison.

J’introduis donc aujourd’hui une série de Théorèmes à Périodicité Aléatoire, ou TPA – des billets que je vais essayer de faire courts, mais à dates aléatoires (je tiens pas à faire « le théorème de la semaine », ça risque de durer 3 semaines et encore…), présentant un résultat rigolo, éventuellement des éléments de preuve si elle tient dans la contrainte « billet court », probablement majoritairement dans le domaine informatique théorique / combinatoire, mais sait-on jamais, je vais peut-être me retrouver à diverger à un moment…

Ceci est un billet d’annonce – un vrai billet avec un vrai théorème devrait apparaître ici cet après-midi ou demain. Spoiler : ça va parler de graphes.

#balisebooks – Juillet 2013

Je disais donc que j’allais faire les bouquins de juillet dans les heures ou jours qui suivraient le 1er août ; il semblerait que la semaine soit passée sans que je m’en rende compte. Faut dire aussi, on a récupéré notre appartement et on a remménagé, entre temps. Alors, bon.

Pas tant de livres que ça lus en juillet – probablement la « faute » aux deux tomes de la Phèdre’s Trilogy qui sont tout de même assez volumineux (plus de 650 pages chacun…)! Comme précédemment, dans l’ordre de lecture.

Kushiel’s Chosen, de Jacqueline Carey (en français L’Élue) – deuxième tome de la trilogie de Phèdre dont j’ai parlé pour le #balisebooks de juin. Ce tome se passe dix ans après le premier tome ; Phèdre est établie dans une propriété choupi et tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’un certain colis arrive – et Phèdre doit repartir à l’aventure. En jeu : le trône de Terre d’Ange, rien que ça. Peut-être un peu en deçà du premier tome, mais très chouette néanmoins, et une bonne transition entre le tome 1 et le tome 3.

Kushiel’s Avatar, de Jacqueline Carey (en français L’Avatar) – troisième tome de la même trilogie, est à mon avis le meilleur des trois. Phèdre cherche à libérer un ami d’un destin peu enviable, et se retrouve pour se faire à aller sauver un gamin kidnappé par une espèce de secte maléfique. C’est aussi le tome le plus violent – et peut-être le plus marquant, pas forcément dans le bon sens du terme : il faut parfois avoir le cœur bien accroché.  Et je n’arrive pas à décider si c’était un excellent bouquin à cause ou en dépit de ça. Mais, en tous cas, une trilogie phénoménale, recommandée. Pour la petite histoire, d’ailleurs, j’ai appris l’existence de cette trilogie en regardant une vidéo de Geek&Sundry, la chaîne YouTube gérée entre autres par Felicia Day ; Geek&Sundry avait une série intitulée The Story Board, qui était en gros une série de panels d’auteurs sur différents sujets, et c’était très chouette. Et, donc, Jacqueline Carey était dans un épisode de cette série, et c’est comme ça que j’ai découvert ça.

SuperFreakonomics, de Steven Levitt et Stephen Dubner (même titre en français) – autant j’avais bien aimé Freakonomics, qui avait tout un tas d’anecdotes et de corrélations amusantes, autant ce deuxième essai est à mon avis raté. Ça part bien, et à peu près à la moitié du bouquin ils se mettent à causer climat, et ça part dans le n’importe quoi chiant. J’ai pô aimé.

Spin, de Robert Charles Wilson (même titre en français) – un excellent bouquin de SF. J’ai trouvé ça dans le Humble Bundle eBooks 2 (qui est depuis terminé) ; c’est pas COMPLÈTEMENT IMPOSSIBLE que j’en aie une version papier dans ma bibliothèque (actuellement encore en cartons) que j’avais pas encore lue (ça me dit confusément quelque chose…), mais, bref. L’idée de Spin est la suivante : un beau jour (ou plutôt une belle nuit), toutes les étoiles s’éteignent. Et il est expliqué assez vite que la Terre est en fait enveloppée dans une membrane plus ou moins étanche, avec en plus la propriété amusante de ralentir le temps à l’intérieur. Du coup, la durée de vie du Soleil (et son explosion) devient un problème vachement plus urgent, parce que quand il se passe un an sur Terre, il s’en passe 100 millions dehors. Gênant. La fin est un peu décevante, mais j’ai adoré le bouquin. J’ai vu récemment qu’il s’agissait en fait d’une série : je vais penser sérieusement à me procurer les tomes suivants.

La Petite garce dans la prairie, d’Alison Arngrim (en anglais Confessions of a Prairie Bitch) – l’autobiographie de « Nellie Oleson de la Petite maison dans la prairie », que j’ai achetée principalement parce que c’était une offre Kindle Éclair. Pas mal d’anecdotes de tournage et de « autour » (elle raconte à un moment qu’elle est allée aux Enfants de la télé en France, et qu’elle a halluciné d’entendre le public CHANTER LE GÉNÉRIQUE… instrumental !), mais pas seulement. Certains passages vraiment pas marrants, mais… c’est la vie :-/ mais en-dehors de ça, j’ai vraiment beaucoup ri. Et comme une envie de regarder la Petite maison dans la prairie 🙂

S’il n’y en avait qu’un à lire… Spin.

#balisebooks – Juin 2013

Il se trouve que, apparemment, parler de ce que je lis au fur et à mesure, ça marche pas top. Comme on est le premier août, je tente une nouvelle formule, qui est de causer le premier (ou le 5) du mois des bouquins que j’ai finis dans le mois précédent – information à laquelle j’ai accès grâce à mon GoodReads préféré. (Sérieusement, GoodReads, c’est bien.) Et comme j’ai, en juillet, des bouquins d’une trilogie que j’ai commencée en juin, ben je commence par juin, voilà. Voici, donc, par ordre de lecture, ce que j’ai fini de lire en juin. Et du coup, je fais la VF ici d’abord, et je ferai la traduction sur G+ plus tard.

Tears in Rain, de Rosa Montero (Des Larmes sous la pluie, en français) – un thriller très sympa, dans un univers très largement inspiré de Blade Runner. L’héroïne, Bruna, est une réplicante, consciente de l’être et d’avoir une durée de vie très limitée. Elle enquête sur une série d’événements : un réplicant tue un autre réplicant puis se suicide. Pas le truc le plus mémorable du monde, mais un bon moment. J’avais récupéré ça sur l’offre éclair Kindle, pas regretté.

Food rules, de Michael Pollan (Les règles d’une saine alimentation, en français) – Pollan fait partie de ces gens dont on cause pas mal en ce moment, je me suis dit « tiens je vais en lire un », mais j’ai visiblement pas choisi le bon. Une « règle » par page, un paragraphe par règle – bon. Ça m’apprendra à ne pas faire attention à ce que je fous sur mon app Kindle. Pis bon, je croyais que le « rules » du titre était un verbe et pas un nom, ça aurait été mieux, sans doute 🙂

Une Autobiographie transsexuelle (avec des vampires), de Lizzie Crowdagger – ça, je sais plus comment je suis tombée sur ce blog, j’ai lu des extraits qui m’ont beaucoup fait rire, du coup j’ai acheté le bouquin (qui est en gros ce que son titre dit – en trois grosses nouvelles), j’ai bien rigolé, une chouette découverte. Pareil, pas super mémorable, mais sur le coup, sympa.

Le Jeu de l’ange, de Carlos Ruiz Zafón – j’avais vraiment beaucoup aimé L’Ombre du vent, j’ai nettement moins aimé celui-ci. C’est plus ou moins la suite de l’Ombre du vent, et c’est l’histoire de David Martin, qui rêve d’avoir du succès en tant qu’écrivain. C’est un peu pénible, parce que j’ai adoré la première moitié du bouquin, et j’ai vraiment pas accroché sur la deuxième moitié du bouquin qui est partie dans le bizarre à la fois peu crédible et peu passionnant.

Ready Player One, d’Ernest Cline (Player One, en français) est un machin complètement jubilatoire. C’est l’histoire d’un gamin qui vit dans un univers vaguement futuriste où les habitants passent la majeure partie de leur temps dans OASIS, un genre de Second Life avec une interface de réalité virtuelle. Le créateur d’OASIS, James Halliday, est mort, et à sa mort, une chasse au trésor géante et difficile a commencé. À la clé : l’héritage dudit James Halliday. Et James Halliday, le truc qui le faisait triper, c’était les années 1980. Du coup, c’est un prétexte pour un voyage dans la culture geek des années 80, c’est bien fichu, c’est très drôle, et j’ai beaucoup aimé. Bon, je suis clairement en plein dans le public cible aussi 😉

Kushiel’s Dart, de Jacqueline Carey (La Marque, en français) est le premier tome de la trilogie de Phèdre, une série de fantasy qui se passe dans une espèce d’Europe parallèle à peu près au niveau Renaissance. Phèdre est une courtisane, qui se retrouve a/ choisie par les dieux/anges pour tirer du plaisir dans la douleur b/ et par conséquent adoptée par son mentor, Anafiel Delaunay, qui la forme comme espionne de haut niveau. Et, évidemment, ça part en sucette assez rapidement, le jeu des intrigues politiques étant ce qu’il est. La particularité de Phèdre rend l’histoire parfois un peu dérangeante (certaines scènes sont difficiles, il faut le dire, et pas à laisser aux mains des enfants), mais globalement c’est un excellent bouquin. Je lis assez peu de fantasy, mais si Jacqueline Carey continue à en écrire je continuerai probablement à en lire (j’ai un peu de retard !).

Let’s Pretend This Never Happened, de Jenny Lawson (pas de traduction française) est une série de chroniques autobiographiques plus ou moins exagérées (je me demande dans quelle mesure) par Jenny Lawson, a.k.a. The Bloggess. Et The Bloggess, ben elle me fait beaucoup rire. Et son bouquin, il m’a beaucoup fait rire aussi. C’est du grand n’importe quoi en barres, avec des animaux empaillés dedans.

The Murder of Roger Ackroyd, d’Agatha Christie (Le Meurtre de Roger Ackroyd) est un grand classique que j’avais déjà lu, probablement plusieurs fois, quand j’étais gamine (j’ai lu beaucoup d’Agatha Christie), mais que j’ai redécouvert avec grand plaisir. C’est un Agatha Christie, que dire de plus. Celui-là est particulièrement chouette.

Voilà, c’est tout pour juin, je ferai juillet dans la journée/les jours qui viennent.

S’il n’y en avait qu’un à lire… Kushiel’s Dart.